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L’ALENA, appelé à disparaître?

L’ALENA prendra-t-il fin? Le présent article traite des questions qui pourraient se poser si les États‑Unis souhaitaient se retirer de l’ALENA. Au nombre de ces questions figurent notamment les exigences législatives aux États‑Unis, la remise en vigueur potentielle de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (« ALECEU ») et la situation qui pourrait prévaloir en l’absence de tout accord sur le libre‑échange.

Durant la dernière ronde de négociations de l’ALENA 2.0, les États‑Unis ont finalement énoncé leur position de négociation sur les questions les plus litigieuses, à savoir le mécanisme de règlement des différends, le contenu américain dans les automobiles aux termes de l’ALENA et la gestion de l’offre. La position de négociation des États‑Unis est décrite comme excessive et impossible sur le plan politique pour le Canada et le Mexique.

Les communiqués de presse laissent entendre que la position américaine vise simplement à rendre la renégociation désagréable, ce qui témoigne de l’intention du président Trump de mettre fin à l’ALENA. Il serait certes prématuré de compter sans l’ALENA, et on doit toujours s’attendre à ce que les négociations deviennent plus ardues à mesure que l’échéance approche. Compte tenu des intérêts économiques en jeu pour les trois pays, nous avons bon espoir que les pourparlers se poursuivront et qu’ils seront couronnés de succès.

Le président Trump peut‑il déchirer l’ALENA?

Même si l’administration américaine souhaitait effectivement mettre fin à l’ALENA, cette tâche pourrait s’avérer très difficile.

Au départ, aucun pays ne peut déchirer l’ALENA. Les États‑Unis peuvent certainement s’en retirer, mais l’accord demeurerait en vigueur entre le Canada et le Mexique, à moins que l’un ou l’autre de ces pays ne choisisse de s’en retirer également.

Un retrait de l’ALENA nécessite un préavis de six mois avant que les droits et les obligations qui incombent à une partie puissent être résiliés. La capacité du président Trump de remettre cet avis sans l’approbation du Congrès et les conséquences juridiques d’une telle action unilatérale font actuellement l’objet d’un débat très intéressant parmi les spécialistes du droit constitutionnel américain. La loi des États‑Unis intitulée North American Free Trade Agreement Implementation Act compte 169 pages et apporte bon nombre de modifications aux lois américaines, notamment en matière de douane, de recours commerciaux et d’agriculture, y compris des modifications considérables à un large éventail de lois connexes. En vertu du droit constitutionnel américain, l’ALENA n’est entré en vigueur que lorsque la loi a été adoptée par les deux chambres du Congrès et par le président. La révocation de ces importants changements législatifs aux États‑Unis nécessiterait donc l’adoption par le Congrès d’une nouvelle loi. Certains prétendent que la simple remise d’un avis de retrait par le président Trump sans l’approbation du Congrès serait inconstitutionnelle.

Selon divers rapports, le Canada est le principal marché d’exportation des deux tiers des États américains. Cela signifie donc que jusqu’à 66 sénateurs pourraient avoir intérêt à protéger des emplois dans leur État en refusant de mettre en œuvre les mesures législatives requises pour supprimer des lois américaines les obligations relatives à l’ALENA. De même, les États du Sud pourraient aussi avoir un intérêt considérable dans le maintien des marchés d’exportation vers le Mexique. Par conséquent, l’adoption de changements législatifs majeurs pourrait présenter des difficultés.

Néanmoins, il se pourrait dans certains domaines que des changements unilatéraux puissent être apportés aux règles de l’ALENA par décret présidentiel.

Premièrement, en droit international, il serait vraisemblablement considéré qu’un avis de retrait de l’ALENA donné par le président met valablement fin aux obligations internationales des États‑Unis, même si la validité constitutionnelle de cette mesure en droit américain est contestée. Sauf en l’absence manifeste de pouvoir, un tribunal international ne forcerait probablement pas les États‑Unis à respecter leurs obligations prévues par la loi après la remise de l’avis requis conformément aux dispositions expresses de retrait que prévoit l’ALENA. Si cet avis était remis, certaines dispositions de l’ALENA qui n’avaient pas été mises en œuvre par les lois américaines, par exemple les dispositions de règlement des différends entre les investisseurs et les États, cesseraient de lier les États‑Unis.

Deuxièmement, la législation complexe des États‑Unis sur les recours commerciaux autorise le pouvoir exécutif à prendre certaines mesures unilatérales contre les importations. Le retrait des États‑Unis de l’ALENA signifierait la perte des moyens de contrainte en droit international pouvant être exercés contre ces mesures commerciales unilatérales par le truchement de l’ALENA (par opposition à d’autres traités, comme les accords de l’OMC). Le Canada et le Mexique pourraient ainsi perdre la possibilité de contester certaines mesures administratives américaines devant des groupes binationaux en vertu du chapitre 19 de l’ALENA ou par la voie d’un arbitrage entre États en vertu du chapitre 20 de l’ALENA.

Remise en vigueur potentielle de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis

La résiliation de l’ALENA ne signifie pas nécessairement la fin du libre-échange entre le Canada et les États‑Unis. L’application de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (« ALECEU »), conclu en 1989, a été suspendue tant que l’ALENA s’appliquait tant au Canada qu’aux États‑Unis. Dans la correspondance diplomatique échangée en janvier 1993, les deux parties expriment qu’elles veulent que cette suspension se poursuive tant que les deux gouvernements sont parties à l’ALENA. On pourrait soutenir que la résiliation de l’ALENA signifierait la remise en vigueur de l’ALECEU, notamment l’élimination des tarifs douaniers et le maintien des dispositions sur l’automobile découlant d’un accord de libre-échange avec les États‑Unis qui est en vigueur depuis le Pacte de l’automobile de 1965. Toutefois, l’ALECEU ne comprenait pas de dispositions de règlement des différends entre les investisseurs et les États comme celles qui figurent dans l’ALENA. De plus, les mesures de contrainte analogues à celles qui sont énoncées au chapitre 19 de l’ALENA à l’égard des recours commerciaux des États‑Unis ont maintenant expiré.

Certains experts aux États‑Unis affirment que l’inversion de la suspension de l’ALECEU n’est pas automatique, et que la reprise d’effet nécessiterait des mesures législatives. Cette opinion est peut-être contraire à l’article 107 de la loi des États‑Unis intitulée North American Free Trade Agreement Implementation Act qui énonce que « [traduction] l’ALECEU ne cesse pas d’avoir effet en dépit d’un accord entre les États‑Unis et le Canada sur la suspension de son application ». On pourrait raisonnablement soutenir que cette disposition restaure automatiquement l’application de l’ALECEU sans que des mesures législatives supplémentaires soient requises.

L’ALECEU comporte une disposition de résiliation similaire à celle qui figure dans l’ALENA, c’est-à-dire qu’il peut lui aussi être résilié moyennant un préavis de six mois. Toutefois, on pourrait avancer que cet avis ne peut être remis avant que l’ALENA ait effectivement été résilié, étant donné que l’application de l’ALECEU est suspendue jusqu’à ce moment-là. Quoi qu’il en soit, la nécessité de changements législatifs de grande envergure aux États‑Unis pourrait compliquer toute tentative de la part d’une administration de mettre fin à cet accord de façon précipitée.

Qu’arrive‑t‑il en l’absence d’un accord de libre‑échange entre le Canada et les États‑Unis?

Répercussions générales

On peut difficilement concevoir comment les États‑Unis pourraient bénéficier d’une résiliation des arrangements de libre‑échange entre le Canada et les États‑Unis, étant donné que leurs tarifs de la nation la plus favorisée (NPF) sont généralement très bas.

Selon divers rapports, les tarifs NPF moyens des États‑Unis se situent aux environs de 2,5 %. Dans le cas du Canada, le tarif douanier moyen est de 3,5 %. Bien que les tarifs douaniers constituent toujours une entrave au commerce, ces taux généralement faibles atténueront grandement les répercussions de la cessation des accords de libre‑échange. Les exportateurs vers les États‑Unis devraient confirmer les tarifs douaniers NPF qui s’appliqueront aux produits qu’ils pourraient souhaiter expédier sur le marché américain.

Le secteur de l’automobile

Le tarif douanier NPF des États‑Unis à l’importation d’automobiles est actuellement de 2,5 % (bien qu’il grimpe à 25 % sur les camionnettes et les fourgonnettes commerciales). Une autre complication pour l’industrie américaine de l’automobile réside dans le fait que 75 % des pièces américaines sont exportées au Canada ou au Mexique (selon un rapport qu’a publié l’International Trade Administration des États‑Unis en 2016). Un autre problème a trait au degré de rationalisation dans l’industrie nord‑américaine de l’automobile (en particulier entre le Canada et les États‑Unis). Les pièces traversent couramment la frontière six ou sept fois pour subir d’autres opérations de traitement, et les chaînes d’approvisionnement existantes seraient gravement perturbées si les États‑Unis voulaient imposer des exigences de contenu local. Le fait que les producteurs américains du secteur de l’automobile soient opposés à ces propositions qui visent à les protéger illustre bien toute l’importance de ces préoccupations.

Services

La disparition d’un accord de libre‑échange nuirait également au mouvement ordonné des voyageurs commerciaux entre les pays partenaires de l’ALENA. Ici encore, cette situation se solderait vraisemblablement au détriment des États‑Unis, puisque ceux‑ci enregistrent actuellement un important surplus commercial sur le plan des services, tant avec le Canada qu’avec le Mexique. Sans les protections offertes aux entreprises américaines en vertu de l’ALENA, les exportations de services pourraient être gravement touchées.

Règlement des différends

Le commerce entre les partenaires actuels de l’ALENA demeurerait soumis aux règles relatives au commerce international de l’Organisation mondiale du commerce (l’« OMC ») même en l’absence d’arrangements sur le libre‑échange. L’OMC met en œuvre un certain nombre d’accords de facilitation du commerce ainsi qu’un processus de règlement des différends pour aborder les politiques protectionnistes qu’imposent des États membres. Ces situations se sont présentées après la prise d’effet de l’ALENA. Le Canada a eu gain de cause devant l’OMC dans deux affaires l’opposant aux États‑Unis où l’ALENA n’avait pas permis de résoudre le différend.

Conclusion

Les négociations de lALENA ont atteint un point tournant où les propositions américaines les plus controversées sont maintenant abordées. Comme le commerce trilatéral de produits et de services dépasse mille milliards, nous estimons que les trois pays de l’ALENA devraient déployer tous les efforts afin que les négociations progressent autant que possible. Les menaces ou les déclarations de résiliation unilatérale de l’ALENA ne devraient pas être menées à terme dans un proche avenir en raison des limitations décrites ci‑dessus. Dans ces circonstances, les partenaires de l’ALENA ont tout intérêt à trouver un terrain d’entente, sans quoi ils risquent de porter atteinte au marché intégré qui est actuellement le plus vaste du monde.

*Le contenu du présent document fournit un aperçu de la question, qui ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.


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