Il y a encore deux semaines, le Parti progressiste-conservateur de l’Ontario (PC) était bien placé pour défaire la première ministre, Kathleen Wynne, aux élections provinciales de juin. Depuis, des allégations d’inconduite grave rendues publiques ont contraint le chef du PC, Patrick Brown, à démissionner.
La scène politique provinciale ontarienne est en pleine ébullition, alors que l’opposition officielle se cherche un nouveau chef, que le Parti libéral de l’Ontario regagne du terrain et que le troisième parti, le NPD, voit dans ces événements une ouverture potentielle. Les parties intéressées qui dépendent du processus décisionnel gouvernemental devront absolument suivre l’évolution de cette situation et ajuster leurs stratégies de relations avec le gouvernement au cours des cinq prochains mois pour gérer les risques inhérents à un paysage politique incertain et saisir les occasions susceptibles de se présenter.
Ce compte rendu offre une vue d’ensemble de la course à la direction du PC et des conseils à l’intention des parties intéressées.
1. Les candidats :
La course à la direction du PC met en concurrence les personnes suivantes :
Doug Ford : ancien conseiller municipal de Toronto et frère du controversé maire de Toronto, Rob Ford, Doug Ford a été le premier candidat à lancer sa campagne par une allocution axée sur la remise en cause des « élites » dans la lignée des mouvements politiques populistes américains et britanniques des dernières années. M. Ford se pose déjà comme le candidat conservateur populiste et s’efforcera de gagner le soutien des électeurs en se distinguant comme l’option de l’aile droite face à des opposants plus modérés. Le gros des appuis de Ford dans l’organisation provient de la Région du Grand Toronto. Or, on l’explique ci‑après, le mécanisme de scrutin pour cette élection nécessitera un soutien géographique dans l’ensemble de la province. Quoi qu’il en soit, M. Ford s’est déjà acquis le soutien des groupes conservateurs sociaux qui avaient fait la différence dans la victoire de Patrick Brown à la course au leadership. Le message de M. Ford le différencie clairement des autres candidats. Il sait également susciter une forte attention de la part des médias, ce qui pourrait s’avérer un atout précieux dans une campagne aussi courte. La capacité ou l’incapacité de M. Ford à séduire les membres du parti au-delà de sa base de sympathisants sera un facteur important du succès de son pari électoral.
Christine Elliott : ancienne députée provinciale de la circonscription de Whitby et ancienne chef adjointe du PC, Christine Elliott a déjà brigué la direction du PC à deux reprises, sans succès. À ce stade, la position de Mme Elliott sur les enjeux politiques demeure incertaine, puisqu’elle n’a pas participé au processus d’élaboration de la plateforme précédente sous la direction de Patrick Brown. Son passé de chef de file du caucus provincial du PC pourrait lui donner l’avantage sur ses rivaux dans l’obtention du soutien des membres des caucus conservateurs fédéral et provincial. Toutefois, compte tenu de la brièveté de cette campagne, les candidats auront peu de temps pour transformer l’appui des députés fédéraux et provinciaux en financement ou en aide sur le terrain. Christine Elliott se présentera comme la candidate d’expérience, déjà prête à diriger.
Caroline Mulroney : avocate en droit des affaires, conseillère en placement de Bay Street et fille de l’ancien premier ministre, Brian Mulroney, Caroline Mulroney a déjà remporté la nomination du PC pour la circonscription de York-Simcoe qui est acquise au PC. Ayant été désignée candidate pendant le mandat de Patrick Brown, Mme Mulroney adoptera vraisemblablement la plateforme de M. Brown, notamment ses éléments les plus progressistes. Elle a déjà obtenu des appuis de taille et recruté des coprésidents de campagne prestigieux en la personne de Lisa Raitt, députée fédérale, et de Monte McNaughton, député provincial. Elle a également engagé des stratèges d’expérience de l’équipe de campagne de Patrick Brown, qui connaissent bien la plateforme du parti et sa machine organisationnelle. Toutefois, étant donné son manque d’expérience politique, il est difficile de prédire comment elle gérera la pression intense et l’attention publique soutenue que ne manquera pas de susciter la course à la direction du PC. Son nom lui assure cependant une grande notoriété, et elle sera présentée comme un nouveau visage, épargné par le scandale qui a déstabilisé le PC en Ontario.
2. La course à la direction du PC :
Les dates à retenir :
16 février : date limite pour l’annonce d’une candidature et le versement du dépôt de 125 k$
18 février : date limite pour une nouvelle adhésion au parti avec droit de vote
2 au 7 mars : scrutin en ligne avec vote préférentiel
10 mars : annonce des résultats
7 juin : élection générale en Ontario
Les règles :
La course au leadership est régie par les documents constitutifs du PC. Les règles sont dignes d’intérêt et auront des conséquences sur le déroulement de la course.
Membres : seuls les membres du PC peuvent voter pour en élire le chef. Patrick Brown avait initialement affirmé qu’il y avait 200 000 membres, mais le chef intérimaire, Vic Fedeli, a depuis vérifié la liste des membres et conclu que le parti compte seulement 130 000 membres.
Points par circonscription et vote préférentiel : les résultats sont calculés sur la base d’un nombre de points par circonscription et sur le modèle du vote préférentiel. Chaque circonscription, quel que soit sa superficie ou le nombre de membres du PC présents sur son territoire, compte pour 100 points. Les candidats recevront un nombre de points égal au pourcentage de suffrages exprimés en leur faveur dans chaque circonscription. De plus, il s’agira d’un vote préférentiel, c’est-à-dire un vote à plusieurs tours dans lequel le candidat au score le plus bas est éliminé à chaque tour jusqu’à ce qu’un candidat obtienne 51 % des points.
Nomination : le nouveau chef doit être déjà nommé candidat du PC dans une circonscription ou indiquer au plus tard le 8 mars la circonscription dans laquelle il entend se présenter à la nomination.
Dépenses : le plafond des dépenses est établi à 750 000 $ par campagne.
Plateforme : les règles exigent que les candidats à la direction appuient les résolutions sur les politiques du PC, mais des désaccords politiques ne manqueront pas de surgir durant la course au fur et à mesure que les candidats peaufinent leur message. Même si les règles semblent imposer aux candidats la plateforme déjà publiée du parti, le chef nouvellement élu disposera d’une certaine marge de manœuvre pour « réviser » la plateforme à l’issue de la course à la direction.
Analyse de la course à la direction :
En raison du mécanisme de points par circonscription et de vote préférentiel et de la brièveté de la course, on peut difficilement prédire qui l’emportera. Le mécanisme du scrutin et la courte période de recrutement de nouveaux membres feront probablement pencher la balance en faveur du candidat qui saura séduire le plus grand nombre de membres dans toutes les circonscriptions du parti.
Pour gagner, un candidat devra obtenir le soutien de membres répartis sur tout le territoire de l’Ontario afin d’accumuler des points dans de nombreuses circonscriptions plutôt qu’obtenir un soutien concentré dans quelques-unes seulement. Les candidats viseront également à être le deuxième choix des électeurs puisqu’un vote préférentiel les oblige à établir un consensus, plutôt qu’à polariser les électeurs. Doug Ford n’étant généralement pas considéré comme un créateur de consensus, ce sont les sympathisants de Christine Elliott et de Caroline Mulroney qui seront les plus susceptibles d’échanger leur soutien au second tour. La courte période allouée pour le recrutement de nouveaux membres fait en grande partie reposer l’issue de la course sur les tendances politiques des membres actuels. En principe une bonne organisation et une stratégie sophistiquée d’incitation au vote compteront plus que le recours aux médias. Les directeurs de campagne ont peu de temps pour déterminer dans quelles circonscriptions ils peuvent accumuler suffisamment de points pour assurer une victoire et dans ces circonscriptions, recenser les membres qui les soutiennent et communiquer directement avec eux.
Les premières indications des résultats de sondages rendus publics suggèrent qu’en dépit de la confusion actuelle au PC, la soif de changement du public demeure palpable. Par conséquent, la capacité de l’emporter sur les libéraux menés par Kathleen Wynne sera un thème dominant de la campagne, sinon publiquement, à tout le moins en coulisses, dans le cadre des pressions exercées sur les électeurs admissibles.
Les répercussions de la course à la direction du PC sur les parties intéressées :
Avant la démission de Patrick Brown, le paysage politique en Ontario semblait relativement connu : une première ministre impopulaire regagnait lentement le soutien de la population, mais devait composer avec le désir de changement d’un grand nombre d’électeurs. Les libéraux avaient déjà annoncé des changements majeurs de politiques, et le PC avait publié l’intégralité de sa plateforme. Pour les parties intéressées, l’orientation des politiques du Parti libéral et du PC était relativement certaine.
La plateforme du PC a été conçue pour plaire à l’électorat du centre, mais la course à la direction remettra en question certaines des positions de principe adoptées par Patrick Brown, comme son soutien visant l’augmentation progressive du salaire minimum. De plus, des clivages entre candidats sur la taxe sur les émissions carboniques existent déjà, et il est certain que d’autres différences de politique émergeront. On peut s’attendre à ce que les candidats à la direction du PC amènent leurs opposants à débattre d’enjeux susceptibles d’améliorer leurs chances de gagner, même si cela implique l’abandon d’une promesse faite par Patrick Brown dans la plateforme du PC. Ainsi, on ne peut prédire l’orientation générale du parti qui émergera de cette course à la direction : s’agira-t-il d’un parti populiste de droite, semblable aux conservateurs fédéraux, ou d’un parti conservateur « progressiste », plus modéré?
Vu la brièveté de la course à la direction, les candidats et leur personnel de campagne seront réticents à rencontrer les parties intéressées afin qu’elles les informent de certains enjeux politiques pendant la course. En outre, étant donné que les élections provinciales générales doivent se tenir le 7 juin, elles auront peu de temps pour influencer les politiques après l’entrée en fonction du nouveau chef. Il sera donc essentiel pour les parties intéressées de solliciter l’attention du nouveau chef et des cadres du parti sur des questions clés immédiatement après la fin de la course.
Dans l’intervalle, les parties intéressées peuvent faire passer leurs messages au futur dirigeant du PC par d’autres moyens :
Soutien au sein du caucus : durant la course à la direction du PC, les parties intéressées devraient rallier un soutien au sein du caucus du PC à l’égard des enjeux qui leur tiennent à cœur, notamment celui des principaux membres du caucus qui sont susceptibles d’entrer au cabinet en cas de victoire du PC en juin. Comme aucun des trois principaux candidats n’est présentement député provincial, le nouveau chef devra immédiatement se tourner vers les membres du caucus pour se renseigner sur leurs préoccupations et leurs priorités. Les parties intéressées devraient se positionner de manière à ce qu’un ou plusieurs des membres du caucus soient prêts à soulever leurs priorités auprès du nouveau chef du PC immédiatement après la fin de la course.
Leadership éclairé : les parties intéressées peuvent également adopter une stratégie consistant à se positionner elles-mêmes comme des « leaders d’opinion » dans leur secteur. Les partis d’opposition s’en remettent généralement à l’opinion des parties intéressées pour l’élaboration de politiques, car ils n’ont pas accès à l’expertise des fonctionnaires. Cependant, étant donné le court laps de temps entre la nomination d’un nouveau dirigeant du PC et le début de la campagne électorale provinciale, les parties intéressées devraient se préparer à fournir une analyse en profondeur sur les sujets qui les intéressent, en particulier si elles visent une modification de la plateforme du PC. Une bonne façon pour elles de se poser en leaders d’opinion est de travailler avec des tiers indépendants, comme des groupes de réflexion, pour faire valider leur position sur des politiques.
Campagnes de communication : une campagne de communications stratégique peut servir à rehausser la visibilité publique des préoccupations des parties intéressées en matière de politiques. La diffusion publique d’un ensemble de messages clés au moyen d’une exposition médiatique gagnée, des médias numériques et sociaux, de la publicité ou du lobbying de la base, sensibilise le public à un enjeu politique et peut inciter les représentants politiques à agir en conséquence. Les parties intéressées peuvent également mettre à profit l’attention marquée des médias à l’égard de la course à la direction pour intégrer leurs enjeux dans le débat public.
Compte rendu rédigé par :
Mark Resnick, administrateur délégué
Richard Mahoney, administrateur délégué
Tim Murphy, administrateur délégué
Graeme McLaughlin