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Budget de l’Ontario 2018 : la stratégie de la première ministre Wynne

Le budget préélectoral du gouvernement de l’Ontario intitulé Un plan axé sur le mieux-être et l’avenir, est un plan global qui servira de canevas à la plate-forme de réélection de la première ministre Wynne. Les gouvernements misent souvent sur le poids formel d’un budget préélectoral déposé à l’Assemblée législative parce, comparativement aux « promesses » contenues dans une plate-forme électorale, un tel budget donne l’impression que le gouvernement a un objectif sérieux et un véritable programme politique.

Ce budget sert deux objectifs politiques, d’une part présenter un programme ambitieux de politiques sociales que les électeurs hésiteront à laisser passer et d’autre part, reprendre le contrôle du message politique en présentant la première ministre comme une dirigeante qui se bat pour aider les Ontariens et Ontariennes à aller de l’avant. Sur le plan tactique, la première ministre voudra que ce budget cimente les appuis dont elle bénéficie au sein des Libéraux et lui permette d’obtenir l’appui des électeurs modérés et progressistes.

Comme l’indique la série de politiques dans le Budget 2018, notamment l’expansion de la gratuité des médicaments sur ordonnance pour les aînés, les soins offerts aux enfants âgés entre deux ans et demi et quatre ans, la plus grande augmentation annuelle des dépenses liées aux hôpitaux depuis des décennies et l’accroissement du financement des soins de santé mentale, les Libéraux de l’Ontario se préparent à croiser le fer sur le plan des idées avec le nouveau chef du Parti conservateur, Doug Ford. Reste à savoir dans quelle mesure M. Ford voudra livrer cette bataille. Son prédécesseur, Patrick Brown, avait évité avec soin un débat de politique avec les Libéraux sur bon nombre de leurs initiatives phares, préférant s’en tenir au mantra « il est temps d’opérer un changement » (time for a change). M. Ford ne s’est pas encore engagé dans le débat, mais il a certainement le temps de le faire, et en raison de l’écart idéologique entre les deux dirigeants, certains des partisans de M. Ford le presseront d’aborder directement les politiques de la première ministre.

L’annonce, l’an dernier, de l’augmentation du salaire minimum par le gouvernement provincial de 11,20 $ à 14 $, puis à 15 $ l’an prochain, a été la politique signature qui marque un point tournant dans la stratégie politique du gouvernement. Sur cette base, le Budget 2018 met l’accent sur des mesures de politique qui soutiendront les Ontariens aux prises avec des difficultés sur le plan économique en étendant les soins aux enfants, les soins de santé et les soins à domicile. Cette position offre à la première ministre un argument de taille pour un autre mandat en montrant aux électeurs que sa priorité est d’élargir les services publics pour aider les Ontariens et Ontariennes à joindre les deux bouts.

Avec l’arrivée de Doug Ford à la tête du nouveau Parti progressiste-conservateur, le Parti libéral de l’Ontario rajuste le tir face à un opposant qui est le point de mire des médias. Au contraire de Patrick Brown, qui évitait les projecteurs et donnait à la première ministre la tribune qui lui permettait de faire passer son message auprès des électeurs, M. Ford opère un changement de cadre politique de par sa capacité à capter l’attention des médias. Le programme de la première ministre dans ce budget provincial, grâce aux politiques distinctives qu’il contient, aidera les Libéraux à réorienter l’attention publique et à ramener vers eux l’intérêt que les médias portent à M. Ford.

Les investissements qu’effectuera le gouvernement dans les programmes et les services pour venir en aide aux Ontariens et Ontariennes présentent un défi plus large pour les Conservateurs, parce qu’ils seront réticents à financer ces politiques qui recevront probablement un bon accueil au sein de la population dans leur plate‑forme de campagne mise à jour. M. Ford devra soigneusement articuler plate‑forme en réponse au budget du gouvernement. Si les Conservateurs annulent les investissements dans les programmes sociaux prévus dans le Budget 2018, les Libéraux seront alors bien placés pour affirmer que les Conservateurs n’ont pas à cœur d’aider les Ontariens et Ontariennes à faire face à leurs charges et à leurs besoins quotidiens. Les Conservateurs doivent être prêts à se démarquer des Libéraux en se concentrant sur les baisses d’impôt, la compression des dépenses, la réduction de la taille et de la portée de l’appareil gouvernemental et une limitation de la portée de l’intervention du gouvernement dans la vie des citoyens.

Le Budget 2018 délimite à grand trait le terrain sur lequel les Libéraux veulent livrer bataille d’ici l’élection de juin. Toutefois, le retour à un déficit budgétaire et l’accroissement de la dette seront des cibles attrayantes pour Rob Ford et son parti. Le service de la dette constitue la troisième dépense en importance dans le budget, après les soins de santé et l’éducation. La dette provinciale s’est gonflée et s’établit à 337,4 G$. Par ailleurs, même si le ratio de la dette nette au PIB devrait se situer en deçà du sommet atteint en 2014-2015, il ne commence à diminuer qu’en 2022-2023. Compte tenu de l’accroissement des dépenses et de l’apport restreint de nouveaux revenus, le déficit devrait s’élever à 6,7 G$ en 2018-2019, et le déficit budgétaire devrait se poursuivre jusqu’en 2024. L’étirement du déficit budgétaire sur une plus longue période accordera aux Conservateurs une marge de manœuvre supplémentaire pour prévoir dans leur plate‑forme un retour à l’équilibre budgétaire avant le moment prévu par les Libéraux, tout en persistant dans leur intention d’annuler le programme de plafonnement et d’échange qui produisait des revenus.

Bien que le Budget 2018 soit principalement axé sur les soins de santé et les services de garde d’enfants pour les Ontariens, il prévoit aussi un programme d’infrastructure de 182 G$ sur les dix prochaines années, notamment afin de soutenir la croissance en Ontario. Comme le taux de croissance du PIB réel devrait se maintenir sous la barre de 2 %, le gouvernement provincial devra faire appel aux dépenses en infrastructure pour stimuler l’activité économique dans la province et la prospérité.

En somme, ce budget est une esquisse de la stratégie des Libéraux en vue d’une réélection, qui sera mesurée en regard de la volonté de changement parmi les électeurs ontariens. Si la campagne devient un débat sur le maintien ou l’abolition de certains programmes et de certaines politiques populaires, plutôt que sur la nécessité d’un changement à Queens Park, le gouvernement libéral aura atteint son objectif politique dans le Budget 2018.


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