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À situations extraordinaires, réponses extraordinaires

Expéditeur : Dwight Duncan

Destinataires : Ministres des Finances du Canada

Objet : À situations extraordinaires, réponses extraordinaires

Le gouvernement du Canada a très bien réagi vendredi dernier, lorsqu’il a reporté son budget prévu pour le 30 mars et qu’il a présenté la première partie de sa réponse à grande échelle à la COVID-19. Les gouvernements sont brusquement confrontés à une situation qui était assez imprévisible il y a à peine quelques semaines, un événement mondial mettant la vie en danger, dépassant leur contrôle, hâtant le déclin économique, voire une situation pire.

La plupart des économistes prédisent maintenant que le Canada sera en récession au deuxième trimestre de l’exercice 2020-2021 et qu’une récession mondiale est imminente.

Au cours des derniers jours, en observant Bill Morneau, le ministre des Finances, j’ai été submergé par un sentiment de déjà vu. À titre de ministre des Finances de l’Ontario de 2007 à 2013, mes collègues et moi avons présenté six budgets, dont cinq portaient sur la crise économique de 2008-2009 et ses conséquences.

La situation actuelle est pire que celle d’alors. C’est plus qu’une crise financière, cela pose une menace directe à la vie humaine, c’est une situation à laquelle nous n’avons pas eu à faire face.

Les décisionnaires ont un choix tout théorique, soit de prendre les mesures nécessaires pour affronter la crise sanitaire, même si ces mesures heurtent l’économie. Le resserrement des frontières, les restrictions imposées aux déplacements, les quarantaines et la distanciation sociale obligent les gouvernements et les banques centrales à prendre des mesures immédiates et extraordinaires pour mettre l’argent et le crédit à la disposition des divers acteurs de l’économie. Par conséquent, les projections économiques existantes, aussi récentes soient-elles, sont désuètes.

Parallèlement, les estimations quant au degré de puissance déployée par Ottawa pour faire face à la nouvelle réalité économique varient considérablement. Selon certaines estimations, ce chiffre pourrait atteindre 40 milliards de dollars. Même si ce chiffre semble élevé, il convient de souligner que la Bourse de Toronto a perdu plus de 800 milliards de dollars en capitalisation boursière depuis son point culminant atteint de février.

Les gouvernements du monde entier sont aux prises avec leurs pouvoirs limités face à un tsunami économique mondial. Quoi qu’il en soit, ils doivent concevoir et mettre en œuvre des mesures de relance budgétaire importantes.

Bien que la situation qu’on a connue en 2008-2009 ait été très différente de la situation actuelle, elle nous est tombée dessus tout aussi durement, sans avertissements.

Le premier défi pour les gouvernements est de comprendre toutes les sources d’information à notre disposition, puis de répondre aux priorités les plus pressantes. Ce n’est pas une tâche facile.

« Essayer de faire des prévisions économiques dans ce genre de tourmente, c’est un peu comme essayer d’attribuer une valeur à votre maison lorsque la cuisine est en feu », a plaisanté Doug Porter, alors économiste en chef adjoint à la Banque de Montréal.

Ne vous faites pas d’illusions, la cuisine est maintenant en feu. Au cours des prochains jours, les décideurs économiques du Canada feront face à un certain nombre d’obstacles.

Premièrement, ils recevront des prévisions et des conseils non concluants provenant des divers services et ministères, de la Banque du Canada, du BSIF et des économistes du secteur privé, qui feront chacun de leur mieux. Néanmoins, les dirigeants élus n’aiment pas trop lorsque les plus brillants esprits en matière d’économie et de politique publique présentent des points de vue très divergents sur les réponses appropriées à apporter aux questions difficiles.

Deuxièmement, le Canada devrait se préoccuper vivement de ce qui se passe sur les marchés mondiaux de l’énergie. Le récent conflit entre la Russie et l’Arabie saoudite a déstabilisé davantage les sources de revenus des provinces productrices d’énergie, ce qui pourrait affaiblir encore le tissu de la Confédération.

Enfin, le gouvernement fédéral devra tenir compte de la répartition inégale des souffrances associées à la réalité économique qui se dessine. En plus d’englober la répartition sectorielle entre la population et les entreprises, cela comprend les écarts entre les régions et les provinces.

On a constaté le même phénomène au cours de la récession de 2008-2009. Cette récession a durement touché l’économie de l’Ontario et du Québec. Ironiquement, au même moment, les prix des produits de base ont atteint des sommets sans précédent, stimulant une croissance record, l’emploi et des excédents budgétaires dans les provinces productrices d’énergie. 

Le défi de la répartition et la structure de la fédération canadienne obligent le gouvernement fédéral à travailler en étroite collaboration avec tous ses homologues provinciaux, de la même façon que le ministre fédéral des Finances de l’époque, Jim Flaherty, et le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, l’ont fait il y a onze ans.

Au départ, nous nous devions d’éteindre l’incendie. Il fallait donc collaborer pour sauver Chrysler et General Motors, se montrer plus vigilants face aux risques de baisse des actions de nos grandes banques, s’assurer que le risque systémique n’affecte pas les institutions financières non bancaires sous réglementation provinciale, assouplir les règles de l’assurance-emploi ainsi qu’un éventail d’autres points importants, mais moins médiatisés.

Si je pouvais donner quelques humbles conseils à nos dirigeants en me fondant sur les expériences d’il y a plus d’une décennie, ce serait ceci.

Les prochaines semaines seront cruciales, car votre confiance en soi pourrait être mise à l’épreuve. Des choses vont arriver qui, en comparaison, vont faire paraître la semaine dernière relativement stable. Continuez de projeter la confiance dans tout ce que vous faites. Cette confiance pourrait être plus importante que tout ce que vous faites. 

Enfin, vous avez accès aux meilleurs experts et conseillers au monde. Toutefois, n’oubliez jamais de vous fier à votre instinct, votre expérience et votre bon sens dans les décisions importantes que vous prendrez en notre nom au cours des prochains jours.

Bonne chance et bon succès.

Dwight Duncan est un directeur du Groupe d’affaires publiques McMillan aVantage, conseiller stratégique principal chez McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l., cadre en résidence à l’Odette School of Business de l’Université de Windsor, et ministre des Finances de l’Ontario de 2007 à 2013.

Le présent article a été publié plus tôt aujourd’hui par l’Institut C.D. Howe. Les opinions exprimées ici appartiennent à leur auteur. L’Institut C.D. Howe ne prend pas position concernant les questions de politique.


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